CHAPITRE VI
Debout devant le Faucon Millenium, Yan Solo serrait sa femme entre ses bras, humant à pleins poumons son parfum. L’humidité de la jungle leur collait à la peau comme des vêtements trempés.
Yan sentait Leia trembler contre sa poitrine – mais était-ce vraiment elle seule qui frissonnait ?
– Je dois vraiment y aller, tu sais ? dit le Corellien. Il me faut retrouver Kyp et l’empêcher de détruire d’autres étoiles… et de tuer davantage de gens.
– Je sais… J’aimerais seulement que nous soyons plus souvent ensemble, même s’il faut affronter le danger.
Sans le moindre succès, Yan tenta de la gratifier de son célèbre sourire fataliste.
– Je me pencherai sur la question, promit-il. On essayera de se débrouiller la prochaine fois.
Les deux époux s’embrassèrent longuement. Puis Yan se pencha et enlaça les jumeaux, qui semblaient pressés de retourner jouer dans le temple.
Les deux gamins avaient découvert un nid de woolamandres dans une aile déserte du bâtiment. Dans son parler encore un peu haché, Jacen se prétendait capable de dialoguer avec les animaux.
Yan se demandait ce qu’ils pouvaient bien lui répondre, car ils n’étaient pas plus futés qu’un caillou.
Le Corellien s’approcha de la rampe d’embarquement.
– Leia, tu sais bien que je veux te savoir en sécurité avec les gosses… et avec Luke…
La jeune femme acquiesça. Ils avaient déjà débattu à fond du sujet.
– Je suis assez grande pour savoir ce que je dois faire. Dépêche-toi, maintenant ! Si tu peux arrêter Kyp, il faut partir au plus vite.
Yan lâcha les enfants, embrassa une dernière fois sa bien-aimée et s’engagea sur la rampe.
Dans une salle de bar rotative, au sommet d’un gratte-ciel de la Cité Impériale, Lando Calrissian porta à ses lèvres son verre de sangria et sourit à Mara Jade.
– Vous êtes sûre de ne pas vouloir un deuxième cocktail ? demanda-t-il.
Mara était belle à se damner avec ses cheveux exotiques, ses pommettes hautes, ses lèvres sensuelles et ses yeux aux reflets de diamant.
– Non, merci, Lando, répondit-elle, alors qu’elle n’avait pas encore touché au premier. Nous devons parler de choses sérieuses.
A travers les baies vitrées du bar panoramique, Calrissian apercevait les lumières du Palais Impérial et des gratte-ciel géants de Coruscant. Des barges à touristes couvertes d’annonces publicitaires slalomaient entre les bâtiments. Haut dans le ciel, deux lunes mal assorties faisaient grise mine comme à l’accoutumée.
De la musique arrivait aux oreilles de Mara et de Lando. Assise au centre d’une forêt de claviers, une créature noire hérissée de tentacules interprétait un morceau pour le moins étrange. Sur sa tête bosselée dépourvue d’yeux, des membranes de différentes tailles lui permettaient d’entendre une incroyable plage de sons, une bonne moitié des notes de sa mélodie étant trop aiguës ou trop graves pour des oreilles humaines.
Lando but une autre gorgée d’alcool et s’adossa à son siège avec un petit sourire. Comme toujours, il portait sur les épaules la cape rouge qui lui donnait des allures d’artiste. Habillée d’une combinaison moulante, Mara avait de quoi attirer le regard d’un homme : ses courbes ressemblaient à la carte d’un système planétaire complexe propice à de passionnantes explorations.
– Ainsi, commença Lando, vous pensez que l’Alliance des Contrebandiers voudrait passer un accord avec moi au sujet de l’exploitation du glitterstim de Kessel ?
– Je peux le garantir ! Moruth Doole a laissé les mines d’épices à l’abandon. Avec le marché noir qui se généralise, y compris dans le Centre Pénitentiaire Impérial, un honnête trafiquant n’a plus la possibilité de gagner sa vie. Il faut que des maîtres du crime comme Jabba le Hutt s’en mêlent pour que l’affaire soit à peu près rentable. Tout le monde n’a pas des moyens pareils.
– Je peux me lancer dans l’aventure… La duchesse de Dargul m’a donné une récompense d’un million de crédits. En investissant judicieusement cet argent, il doit être possible de rationaliser le système.
– Quel est votre plan ? demanda Mara en se penchant dans son fauteuil pour chuchoter à l’oreille de son compagnon.
Le cœur battant la chamade, Lando imita le mouvement, jubilant à l’idée de ce qui pouvait se passer…
La jeune femme recula comme si un serpent l’avait mordue.
Dépité, Calrissian revint au travail.
– Hum… Je n’aime pas que Doole se serve d’une prison comme plaque tournante, mais ça pourra me servir de point de départ. Au moins garderai-je le bâtiment comme quartier général.
« Et… euh… je n’ai pas l’intention d’utiliser des esclaves. Des droïds-ouvriers feront aussi bien l’affaire. Sur Nkllon, j’ai étudié des systèmes de forage très sophistiqués. Avec des outils super-réfrigérés, les signatures infrarouges ne risqueront plus d’attirer les araignées d’énergie qui nous ont causé tant de problèmes.
– Les droïds ne peuvent pas tout faire, objecta Mara. Vous aurez besoin de personnel vivant. Qui envisagez-vous de placer à la tête d’une opération aussi peu reluisante ?
– Peu reluisante, elle l’est à coup sûr pour les humains, mais moins pour d’autres espèces. Je pense engager un vieil ami à moi, Nien Nunb, qui était mon copilote, sur le Faucon, au moment de la bataille d’Endor. C’est un Sullustéen – des créatures qui vivent dans les tunnels d’un monde volcanique déplaisant au possible. Pour lui, les mines d’épices seront un hôtel de luxe ! (Lando remarqua l’air sceptique de la jeune femme.) Mara, j’ai bourlingué avec lui, et je sais qu’on peut lui faire confiance !
– On dirait que vous avez résolu tous les problèmes, Calrissian. Mais jusque-là, ce ne sont que des mots. Quand comptez-vous partir pour Kessel ?
– Eh bien… j’y ai perdu mon vaisseau… Hum, je veux commencer par récupérer le Lady Luck. Après, je me mettrai au travail. (Il plissa le front.) Au fait, ça vous dirait de venir me donner un coup de main ? On ferait une bonne équipe.
– Sûrement pas ! (Mara Jade se leva.) Je dois partir.
– Bon… Si vous voulez bien, nous nous reverrons sur Kessel dans une semaine. D’ici là, j’aurai une meilleure idée de ce qu’il faut faire. Mara, je sens que commence une longue et fructueuse relation…
– De travail ! termina la jeune femme, moins coupante qu’elle ne l’aurait voulu.
– Vous êtes sûre de ne pas vouloir dîner avec moi ? demanda Lando, saisissant la balle au vol.
– J’ai déjà mangé une ration standard. Une semaine, pas un jour de plus. Je vous attendrai sur Kessel.
Elle tourna les talons et s’en fut.
Lando lui souffla un petit baiser du bout des doigts. Elle ne s’en aperçut pas, ce qui était sans doute préférable.
Sur ses claviers, le musicien tentaculaire entonna une complainte débordant de résonances émotionnelles beaucoup trop subtiles pour l’assistance.
Dans la Salle du Conseil, Yan Solo s’éclaircit la gorge avant de s’adresser aux sénateurs et aux généraux réunis sous la présidence de Mon Mothma.
– Je n’ai pas souvent l’occasion de parler à… (hum, quel langage fleuri utiliserait donc Leia ?)… cette auguste assemblée, mais j’ai besoin de certaines informations.
Mon Mothma s’assit avec difficulté. Près d’elle, un droïd médical surveillait les dispositifs qui la maintenaient en vie. La peau de la présidente du Sénat était grisâtre, comme si elle allait bientôt se détacher de ses os. Son état empirant chaque jour, Mon Mothma avait renoncé à jouer la comédie.
Selon Leia, l’étrange maladie dégénérative de leur chef lui laissait à peine quelques semaines à vivre. A la voir, Yan doutait que les choses puissent durer aussi longtemps.
– Général Solo… (Une pause, puis une profonde inspiration.) Que… voulez-vous savoir ?
Yan déglutit péniblement. Il ne pouvait leur cacher la vérité, si détestable qu’il la trouvât.
– Kyp Durron était mon ami, mais il s’est engagé sur la mauvaise voie. Après avoir attaqué Luke Skywalker, il a volé le Broyeur de Soleil et détruit une nébuleuse pour anéantir la flotte de l’amirale Daala. D’après Leia et les élèves Jedi, une grande déchirure, dans la Force, laisse penser qu’il a commis d’autres crimes.
Le général Rieekan prit la parole, les yeux brillant de colère. L’homme avait commandé la Base Echo de Hoth. Il n’était pas du genre à s’émouvoir pour des peccadilles.
– Nos vaisseaux sont revenus de leur mission, général Solo. Votre ami a encore utilisé le Broyeur de Soleil. Cette fois, il a détruit le système de Carida, où se trouvait une académie militaire.
Yan en eut la gorge sèche. Pourtant, la nouvelle ne l’étonnait pas, sachant à quel point Kyp abominait l’Empire.
Le vieux général Jan Dodonna intervint :
– Cette boucherie doit cesser ! Même l’Empereur n’aurait pas perpétré des horreurs pareilles. La Nouvelle République ne recourt pas à des tactiques aussi barbares !
– Kyp Durron n’hésite pas à le faire, coupa Garm Bel Iblis, et il a détruit deux cibles cruciales. Si nous désapprouvons ses méthodes, il faut bien reconnaître qu’elles sont efficaces.
Mon Mothma trouva la force de parler :
– J’interdis qu’on décrive ce jeune homme… comme un héros de guerre. (Elle leva une main pour signifier qu’elle n’en avait pas terminé.) Sa croisade doit s’arrêter. Général Solo, pouvez-vous mettre fin à ses agissements ?
– Il faudra d’abord le trouver ! Avec les informations recueillies par vos éclaireurs, je pourrai reconstituer sa piste. Si je parviens à lui parler, il reviendra à la raison, j’en fais mon affaire. Vous savez, ça n’est qu’un gosse…
– Général Solo, vous aurez toutes les informations que vous désirez. (Mon Mothma dut agripper les accoudoirs de son siège pour ne pas piquer du nez.) Vous faut-il… une escorte ?
– Non. Ça risque de l’effrayer. Le Faucon et moi nous chargerons de cette mission. Avec un peu de chance » je ramènerai aussi le Broyeur de Soleil. (Il balaya l’assemblée du regard.) Cette fois, je vous jure qu’on le détruira pour de bon !
Yan avait presque fini de préparer le Faucon au voyage quand une voix familière résonna dans son dos.
– Solo, vieux filou ! Besoin d’un coup de main ?
Le Corellien se retourna. C’était Lando Calrissian, hâbleur comme à son habitude.
– Je suis sur le départ, Lando. Et je ne sais pas quand je reviendrai.
– J’ai entendu parler de ta mission… Pourquoi tu ne m’emmènes pas, Yan ? Tu auras besoin d’un copilote et Chewie n’est pas disponible.
– C’est une affaire dangereuse. Je ne veux pas embarquer quelqu’un dans…
– Yan, piloter seul le Faucon est de la folie. Sais-tu seulement quels dangers tu vas courir ? Qui sera aux commandes si tu dois servir les canons ? Admette, je suis ton meilleur choix.
– Faux ! Ce serait Chewie, s’il était là ! Tu sais que cette boule de poils me manque ? Au moins, il n’essaye pas sans arrêt de me gagner le Faucon au jeu !
– Yan, c’est du passé, tout ça. Nous avons juré de ne plus recommencer. Tu t’en souviens ?
– Comment aurais-je pu oublier ?
Lors de leur dernière partie de sabacc, Lando l’avait battu à plate couture. Redevenu propriétaire du Faucon, il l’avait rendu à Solo pour impressionner Mara Jade.
– Dis-moi, pourquoi insistes-tu comme ça, vieux pirate ? s’étonna le Corellien. Ça ne sera pas une croisière d’agrément.
Lando dansa d’un pied sur l’autre.
– Pour tout te dire, je dois être sur Kessel dans une semaine.
– Mais je ne vais pas dans ce secteur !
– Qu’en sais-tu ? Tu cherches Kyp. Peut-être qu’il y est. Tu n’en as pas la moindre idée…
– Pas mal raisonné… Que veux-tu faire là-bas ? Après ce qui est arrivé la dernière fois, j’aurais juré que tu te tiendrais loin de cette planète.
– J’ai rendez-vous avec Mara Jade. Nous sommes associés dans-une affaire d’épices.
D’un geste théâtral, il jeta sa cape sur son épaule droite.
– Mara sait-elle que vous êtes partenaires ? demanda Yan. Ou est-ce encore une de tes arnaques ?
Lando prit un air peiné.
– Evidemment qu’elle sait ! Enfin, en partie… Et puis, si tu me conduis sur Kessel, je retrouverai le Lady Luck et je pourrais arrêter de faire du stop interplanétaire. Ça commence à me lasser…
– Tu n’es pas le seul… Bon, si nous approchons de Kessel, je veux bien t’y déposer. Mais la priorité est de rechercher Kyp.
– C’est compris, Yan, dit Lando, avant de marmonner dans sa barbe : à condition que je sois sur Kessel avant huit jours.